Quel intérêt de faire émerger un ordre, une organisation qui ne durerait pas ? Mais pourquoi certaines structures seraient-elles privilégiées dans la durée et d’autres bien éphémères. Qu’est-ce qui sélectionne certains équilibres plutôt que d’autres ? Une sélection naturelle de type darwinien par l’adaptation au milieu ? Ou un principe bien plus trivial ?
Le principe de sélection par la loi du plus fort (ou plutôt du plus adapté) est généralement reconnu comme vérité car il explique plutôt bien une partie (le tri) du processus constaté de l’évolution des espèces. Il s’applique donc bien au vivant, mais malgré bien des tentatives de généralisation, s’avère difficile à transposer dans tous autres domaines où s’exercent pourtant un tri, une sélection.
Prenons l’exemple d’une ville antique fortifiée pour résister aux assauts des villes voisines jalouses de sa prospérité. Est-ce qu’elle perdure car elle est adaptée à son environnement ou plutôt parce qu’elle s’en protège en s’isolant par ses murailles ?
Est-ce l’adaptation ou le refus de l’adaptation qui la sélectionne dans la durée par rapport aux villes non fortifiées ? Est-ce que la République Populaire Démocratique de Corée (Corée du Nord) subsiste depuis plusieurs décennies parce qu’elle s’est adaptée au monde extérieur ou parce qu’elle s’en protège par un isolement volontaire ? Bien évidemment on pourrait rétorquer que se protéger de l’extérieur est une … adaptation ! Et que le refus de s’adapter serait donc une forme d’adaptation !
Autre exemple : si l’on dépose un caillou et un morceau de sucre dans un même verre d’eau, on constate bien sûr que le sucre s’y dissout rapidement alors que le caillou reste en l’état. Le caillou subsiste (est sélectionné !) car il n’est pas affecté par l’eau, non pas parce qu’il serait « adapté » à ce milieu aqueux. Il « ignore » ce milieu sans que l’on puisse dire pour autant qu’il y soit adapté !
Il semblerait donc que la sélection s’effectue sur un critère plus général et somme toute trivial :
« Pour être sélectionné, il suffit de durer »
Il ne s’agit là que de l’affirmation d’une évidence selon laquelle ce qui est stable perdure et se retrouve donc « sélectionné » par rapport à ce qui ne dure pas. La sélection se ferait donc simplement en fonction de la capacité à durer en l’état car déjà « adapté » ou à changer sans pour autant perdre son identité en s’adaptant. Nous verrons dans un prochain article qu’existe une 3° voie, le verrouillage cause-effet, qui permet de durer en adaptant son environnement (et qui rend le provisoire … bien illusoire).
Ces 3 situations permettent de trouver un équilibre avec son environnement, une stabilité.
D’où ce deuxième principe d’organisation : » La stabilité sélectionne «
Tout autant trivial qu’il soit, ce principe étend le champ d’application de la sélection naturelle qui ainsi admet, pour pouvoir durer et donc être implicitement « sélectionnée », toute situation générant de la stabilité.
Ce n’est donc pas toujours le plus fort qui gagne, ni le plus « apparemment » adapté, ni le plus jeune, ni le plus malin, ni le plus riche, c’est … celui qui dure plus que d’autres dans un contexte donné. Et cela peut se faire par la force, la ruse, l’esquive, l’isolement, la persévérance, la chance, l’indifférence et bien évidemment l’adaptation … tous les moyens sont bons !
Nous venons donc, dans ce qui précède, de mettre en évidence deux principes naturels, fondamentaux de la logique d’organisation que la nature déploie pour structurer notre monde avec une complexité croissante :
1° principe : L’interaction différencie.
2° principe : La stabilité sélectionne.
Ces deux principes sont les piliers d’une dynamique d’émergence d’ordre qui peut s’énoncer ainsi :
« Un changement dans un environnement provoque une cascade d’actions-réactions qui en différencie les composants jusqu’à l’atteinte d’un nouvel équilibre intégrant ce changement »
Une bonne illustration de cette dynamique se retrouve dans la situation (que nous avons tous déjà vécue !) où deux personnes se croisent sur un trottoir étroit. Dès que les piétons prennent chacun conscience de la présence de l’autre (interaction) ils obliquent soit à gauche, soit à droite, et souvent plusieurs fois (cascade d’actions-réactions) d’ici que le choix de chacun permette le croisement (équilibre car stabilité des choix). D’ailleurs (et nous l’avons aussi tous vécu !) il arrive que l’équilibre ne soit pas atteint à temps et que les piétons se télescopent !
Emergence d’ordre (différenciation), atteinte d’un équilibre gage de durée (stabilité) sont des prérequis pour constituer un agencement durable. Mais le résultat obtenu est de nature variable et peu prédictible. Une décision de manager peut tout aussi bien renforcer la cohésion d’une équipe que favoriser l’individualisme !
C’est forts de ces deux principes naturels incontournables que nous allons maintenant distinguer les voies que peut emprunter la différenciation. Objectif : comprendre les comportements de groupe en identifiant les leviers permettant de les anticiper et de les orienter (rêve de tout manager !).
Ce sera l’objet du prochain article : « Du comportement individuel au comportement de groupe »