12-L’intelligence collective (1/2)

« L’intelligence du collectif est supérieure à la somme des intelligences individuelles isolées ».

Cette formule, principe fondateur des recherches en intelligence des sociétés d’insectes, investit depuis peu le monde de l’entreprise avec des méthodes de travail visant à développer les capacités cognitives des équipes et organisations. Mais s’agit-il d’intelligence collective ou d’une simple organisation du travail « intellectuel » ? Un peu de recul ?

 Tout d’abord, il nous faut resituer l’intelligence collective dans le spectre des comportements collectifs. Elle serait une conséquence d’activités « intellectuelles » d’un groupe tout comme la performance collective d’une équipe dans le domaine du sport ou la productivité globale dans une unité de production industrielle seraient des conséquences d’activités « physiques ». En management d’équipe, elle répond donc à un même « désir » de dépasser la simple addition des compétences en brisant la linéarité de l’évolution des performances selon les moyens engagés. Ainsi, au-delà de l’optimisation d’un comportement de groupe par des méthodes de travail appropriées, il s’agit bien de faire émerger une propriété, une compétence collective capable de démultiplier l’efficacité du groupe pour produire un résultat inatteignable par la simple addition des compétences individuelles. L’intelligence collective ainsi décrite répond donc aux mêmes conditions d’émergence et de développement que toute autre nouvelle propriété issue d’un comportement collectif auto-organisé.

Comme toute propriété émergente, l’intelligence collective est indissociable de l’auto-organisation.

Ensuite, il nous faut bien reconnaitre que nos organisations humaines se sont progressivement bâties grâce à la combinaison (à travers les époques !) des intelligences de tous ceux qui, à un moment de leur vie, ont collectivement fait avancer la société. Et peu de progrès, d’innovations, d’inventions n’auraient été possibles sans la mobilisation de nombreux « esprits », les uns s’appuyant sur les résultats des autres jusqu’à aboutir à une idée, un outil, une solution, un produit nouveau. Mais, comme cette évolution s’affranchit de tout plan d’ensemble,  c’est à postériori que nous y voyons les signes d’une intelligence « collective ».

Il est naturel, habituel et … tentant de « détecter » une forme d’intelligence collective dans les comportements collectifs auto-organisés !

Enfin, il faut se souvenir que l’émergence est de nature qualitative, non quantitative (voir L’émergence) ; une propriété émergente est de nature différente de celles qui sont impliquées dans son apparition. Espérer l’émergence d’une intelligence collective en « organisant » des intelligences individuelles est aussi vain que d’attendre l’émergence d’une force collective lors de l’addition de forces individuelles, d’une efficacité collective lors de la mise en relation d’efficacité individuelles, d’une mémoire collective lors de la composition de mémoires  individuelles. Tout au plus peut-on espérer une rupture de linéarité dans la progression de la propriété collective par rapport au nombre d’individus impliqués, résultat d’une organisation du travail visant à dépasser la simple addition des compétences, mais sans émergence de propriétés nouvelles.

Cette intelligence collective que l’on veut « fabriquer » se limite à  une performance collective, un résultat collectif !

Donc, si l’on attend beaucoup de cette mobilisation de l’intelligence collective, il ne faut pas se leurrer sur notre capacité réelle à « l’organiser » ou du moins créer les conditions de son émergence. Tout comme les expériences d’auto-organisation peuvent conduire à des situations anarchiques, celles visant l’intelligence collective peuvent aisément décevoir, jusqu’à confiner à la « bêtise » collective. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent !

Alors faut-il se résoudre à seulement observer une intelligence collective naturelle omniprésente mais qui ne se laisserait pas apprivoiser ? Probablement non mais il faut, je crois, modérer nos ambitions car on fait face à un phénomène qui nait de l’auto-organisation des acteurs et qui donc se dérobe quand on veut le contraindre. Peut-on contrôler … la liberté ?

L’émergence est réticente à l’autorité, aux règles et procédures, elle ne se décrète pas !

 

Il est donc pertinent de s’interroger sur le bien-fondé de méthodes qui visent à faire émerger une intelligence collective en appliquant  des règles précises de fonctionnement, une démarche de mise en partage et de confrontation des positions individuelles et de groupe, une stricte organisation du travail intellectuel. N’est-ce pas là une démarche aux antipodes des conditions naturelles d’émergence ? Plus les pièces du puzzle sont affinées, moins il y a de chances de pouvoir assembler une autre image que celle qui figure sur la boîte ! C’est par la latitude d’expression laissée aux acteurs d’un groupe que peut surgir un appariement, un assemblage inédit support de propriétés nouvelles telle que … une forme d’intelligence collective ! Une organisation du travail intellectuel trop cadrée ne produira pas plus de « surprises » qu’une répartition des tâches stricte dans une organisation. Au mieux peut-on espérer une optimisation du fonctionnement d’ensemble et une efficacité maximale en regard des ressources engagées, mais pas de « rupture » révélant de nouvelles propriétés, pas « d’intelligence collective » qui transcenderait les intelligences individuelles en présence.

Alors intelligence collective ou simple organisation du travail « intellectuel » ? 

Au vu des difficultés à définir précisément l’intelligence individuelle dans ses multiples composantes (et donc à fortiori l’intelligence collective !) et pour dépasser le niveau des phrases et des slogans, il est sans doute plus productif de traiter ce sujet dans une situation concrète et courante : faire émerger une créativité collective, résoudre collectivement un problème non soluble individuellement, inscrire dans une mémoire collective des connaissances et savoir-faire individuels (capitalisation des connaissances), …

Ce sera l’objet du prochain article qui s’appliquera à « décoder » certaines situations !

 

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