L’auto-organisation est un processus naturel de création d’organisation.
Mais ce processus reste mystérieux car on n’en comprend pas vraiment les mécanismes. C’est en remontant aux fondements naturels de l’organisation que l’on peut en découvrir les clés et donc des pistes pour « l’inoculer » dans nos propres organisations.
Car, si on rêve d’appliquer ce processus d’auto-organisation, c’est bien parce qu’il produit des structures et des organisations surprenantes par leur capacité de résistance, de souplesse et d’autonomie. Un organisme vivant, un écosystème, une société sont capables d’absorber bien des agressions et rester fonctionnels sans perdre leur identité … et sans consignes ! Ils peuvent évoluer tout en gardant leur « âme », et donc absorber les perturbations extérieures. Une bonne image pour illustrer ce comportement serait celle de l’équilibriste qui oscille constamment sur son fil selon les perturbations de son environnement … mais ne tombe pas ! Ce n’est bien évidemment pas le cas de nos propres réalisations, si fragiles ainsi qu’on l’évoquait dans l’article précédent.
Mais, pour comprendre l’émergence de ces surprenantes propriétés, il nous faut d’abord rappeler la dynamique naturelle d’émergence d’ordre abordée précédemment:
« Un changement dans un environnement provoque une cascade d’actions-réactions qui en différencie les composants jusqu’à l’atteinte d’un nouvel équilibre intégrant ce changement »
Pour illustrer cela, imaginons un groupe de touristes dont le bateau se serait échoué sur une île déserte et isolée. La volonté (commune) de survivre va entraîner des positions individuelles diverses (différenciation) sur la manière d’y arriver. Avec à terme une organisation probable de partage des rôles selon les propositions de chacun … soumises à l’accord des autres. Finalement, et s’ils arrivent à s’entendre bien sûr, les naufragés se seront auto-organisés. Le rôle de chacun doit être accepté par les autres et tout changement de comportement de l’un est d’abord freiné par le groupe mais peut entraîner un nouvel équilibre de l’ensemble.
Nous venons de décrire un processus d’auto-organisation : pas d’architecte, l’organisation est le résultat (la conséquence) des interactions et des différenciations (rôles) induites par la nouvelle situation.
– Les rôles sont interdépendants ce qui induit une résistance globale au changement (résistance).
– Tout changement qui dépasse les limites de résistance impacte l’ensemble et génère une nouvelle cascade d’actions-réactions, jusqu’à atteindre un nouvel équilibre, avec des rôles modifiés à terme (souplesse).
– Inutile de définir les relations entre les individus puisque les rôles les intègrent, ils en sont même le résultat. Le modèle inclut donc naturellement ses règles de fonctionnement (autonomie). Pas de contrôle ni de coordination externe nécessaires.
Et que dire de notre propre démarche de conception d’organisation ?
L’organisation est conçue par assemblage d’un « architecte » qui en définit les rôles puis « remplit les cases » avec les compétences nécessaires. Les relations, les règles, les procédures sont définies par les décideurs et communiquées aux acteurs. Une coordination ainsi qu’un contrôle sont mis en place pour piloter l’organisation. Le modèle est rigide (résiste puis casse), et incapable d’évoluer de lui-même sans que soient redéfinis les rôles et procédures par une autorité externe.
Les tentatives pour introduire de l’auto-organisation dans les entreprises ont pourtant été nombreuses mais ont finalement peu changé le paysage organisationnel. La conception (analytique) sur un modèle hiérarchique et procédural a la vie dure ! Alors que nous manque-t-il pour « injecter » de l’auto-organisation dans nos équipes (quand nécessaire et souhaitable, bien sûr !) ?
– tout d’abord, choisir des situations qui ne dériveraient pas nativement vers l’individualisme ou le panurgisme des acteurs du groupe (diagramme individuel/collectif). Car l’auto-organisation n’est pas la première des réponses naturelles à toutes les situations. Si la température d’une salle de réunion est trop élevée, la première des réactions de chacun sera d’ôter un vêtement excédentaire (individualisme) si possible, bien avant de décider ensemble de baisser le chauffage (panurgisme) ou encore de se replacer dans la salle selon la localisation des radiateurs et la frilosité de chacun (auto-organisation).
– ensuite revoir la recette selon le constat de l’article précédent : « Nous construisons en intégrant des différences, la nature en différenciant des semblables » ce qui implique d’oublier notre logique d’assemblage de différences (rôles, fonctions, compétences) pour plutôt induire (faire émerger) ces différences en « jouant » sur les interactions,
– enfin, changer les ingrédients de la recette car la différenciation nécessaire à l’auto-organisation ne peut s’exprimer qu’avec des constituants … capables de se différencier ! Imaginer « auto-organiser » une équipe constituée d’hyper-spécialistes, c’est comme vouloir obtenir avec les pièces d’un puzzle un résultat différent de l’image qui figure sur la boîte ! L’image dans l’article précédent des cellules pluripotentes qui se différencient pour élaborer un organisme est tout à fait appropriée. Transposée à nos organisations, elle indique qu’il nous faut rogner les contours de nos « pièces de puzzle » (dé-spécialiser !) et inclure dans le « jeu » des pièces aux contours adaptables (des généralistes !) car : « Le généraliste est la cellule souche de l’auto-organisation »
Ces conditions d’émergence de l’auto-organisation sont nécessaires mais non suffisantes et nous en découvrirons d’autres au fil des articles de ce blog. Mais ces premiers enseignements du Management Naturel des Organisations sont déjà applicables à certaines situations de travail telle que celle que nous exploiterons dans l’article suivant « Le dressage organisationnel » afin de montrer que nous disposons de bien plus de latitude que l’on imagine pour « orienter » nos équipes et organisations.