« Mais où se cache le désordre ? »
Où que vous soyez en ce moment, vous êtes en train de lire ce que j’ai écrit !
Alors levez les yeux de votre écran , et faites un tour d’horizon.
Si vous êtes chez vous, bien installé dans votre fauteuil préféré, ce qui vous entoure est forcément structuré et ordonné, même s’il faut admettre que chacun a sa propre notion de l’ordre. Vous êtes entouré d’objets, de meubles; votre lieu de vie est agencé en pièces géométriques dédiées à une fonction précise: cuisine, salle de bain, chambre à coucher, salon, …, chacune étant équipée des moyens nécessaires à sa fonction.
Si vous êtes assis dans un transport en commun, bus, métro ou train, portez votre regard à l’extérieur; votre environnement est composé d’infrastructures, de locaux d’habitation, de bureaux, d’usines, de magasins, d’écoles, de bâtiments administratifs, et de tous autres lieux dédiés aux différentes activités humaines. Encore une fois il s’agit d’agencements ordonnés, structurés, exemples concrets de la capacité créative de l’Homme à aménager et organiser son environnement.
Mais, si vous avez décidé de parcourir ce blog au calme, confortablement installé dans un transat sur une plage en bord de mer, vous n’échapperez pas pour autant à l’omniprésence d’un environnement structuré. La mer qui régulièrement jette ses vagues à l’assaut de la plage, le ciel parsemé de nuages aux formes diverses, le soleil qui vous réchauffe la peau, la légère brise de mer qui vous rafraîchit.
Alors, pour échapper à cette tyrannie de l’ordre, fermez les yeux et imaginez-vous ailleurs, au bord d’une rivière, au sommet d’une montagne, au fond d’une mer, à bord d’une montgolfière, d’un bateau. Laissez maintenant votre esprit parcourir ce lieu que vous avez choisi. Essayez d’y trouver un endroit où l’ordre serait absent, où aucune structure n’émergerait.
Vous pensez enfin avoir identifié, au beau milieu d’un océan, un espace où aucun ordre ne se manifeste, où tout semble homogène et sans forme, où rien ne peut être distingué. En êtes-vous sûr ? Cette masse d’eau apparemment si homogène ne présente-t-elle pas des variations de température et donc de densité ? Sa salinité est-elle partout la même ? Probablement pas !
Mais peut-être alors qu’à vos pieds le sable de ce bord de mer représente l’exemple que vous recherchez, un milieu homogène, sans ordre, sans structure, sans organisation. Possible mais, en y regardant de plus près, il est probable que ce sable présentera des variations dans sa structure, une sédimentation qui regroupe en lits superposés des grains de tailles semblables, des agrégats de coquillages ou d’éléments végétaux, des cailloux ou des galets.
Identifier dans notre environnement un lieu strictement homogène, sans structure, sans ordre semble donc relever de l’impossible. Alors évadons-nous plus encore. Voyons plus loin et transportons-nous dans l’espace, éloignons-nous de notre planète jusqu’à nous fondre dans l’infiniment grand. Là encore nous saute aux yeux la complexité de l’agencement de notre univers en étoiles, galaxies, amas de galaxies. Et si l’on choisit au hasard n’importe qu’elle planète tournant autour de son étoile, on y distinguera une structure imposée par la gravitation et son histoire géologique. Même le plus petit astéroïde ne peut être complètement homogène. Considérons alors une nébuleuse car elle représente une masse à priori informe de poussières d’anciennes étoiles disparues dans une ultime explosion. Et bien là encore se révèlent des disparités, des agrégats, des regroupements de matière, des volutes de gaz et poussières aux couleurs enchanteresses, ferments de futures étoiles à naître.
Alors, puisque l’infiniment grand n’y suffit pas, essayons l’infiniment petit. Plongeons au cœur de la matière pour y chercher un lieu sans ordre, sans forme, sans structure. Mais quel que soit l’objet de notre inquisition et le niveau de grossissement utilisé, notre regard ne croisera que structures, formes, ordre et organisation, et ce jusqu’au niveau ultime de notre connaissance actuelle de cet univers, jusqu’aux composants de base de la matière que sont les atomes et leurs constituants.
En définitive, où qu’ait porté votre regard depuis que vous avez commencé cet article, et quelle qu’ait été l’originalité des lieux où vous vous êtes projetés, sans doute n’avez-vous pas pu trouver un seul espace où régnerait un désordre total, une bouillie d’où n’émergerait aucun grumeau.
Mais en dernier ressort, et pour compléter notre quête, dépassons le niveau de la matière, et observons ce que la nature a su produire depuis ce fameux big-bang, instant zéro de la naissance de la matière de base de notre univers.
En une succession d’étapes de production de composants de plus en plus nombreux et variés (les atomes), de plus en plus élaborés (les molécules), en une succession d’agencements de complexité croissante de ces composants de base, la vie a finit par apparaître, et avec elle le foisonnement de l’organisation. Et où que porte notre regard ou nous projette notre imagination, on ne peut que s’émerveiller de la diversité et de la complexité du vivant, de l’inventivité que la nature a déployée pour produire, développer et inscrire dans la durée ses créations.
Dans l’infiniment grand ou l’infiniment petit, dans l’espace ou le temps, dans le monde minéral, et plus encore dans le monde du vivant, végétal ou animal, il semble donc difficile, voire impossible, de distinguer un quelconque désordre. Or nous sommes éduqués dans l’idée que l’entropie, mesure du désordre d’un système organisé, ne peut que croître dans un milieu fermé et que tout système abandonné à lui-même ne peut que se diluer progressivement dans une uniformité synonyme d’éternité. Nous considérons donc communément l’ordre comme un état exceptionnel, rare et localisé. Nous imaginons intuitivement qu’une situation ordonnée, structurée, organisée est forcément le résultat d’efforts, d’une intention ou d’un projet, ou encore d’un concours de circonstances favorables. Et pourtant, nous sommes bien en peine d’identifier un quelconque lieu où l’ordre serait totalement absent, où rien ne se distinguerait de ce qui l’entoure.
Ce constat d’une omniprésence de l’ordre laisse penser que la nature se moque de l’entropie mais s’explique simplement par le fait qu’un milieu fermé local, et donc sans aucun apport d’énergie extérieure, est naturellement rare dans notre univers. En effet, notre monde fourmille d’interactions, d’échanges, de flux, dans un enchevêtrement inextricable de dépendances.
Et cet environnement réel est si bien ordonné, si bien organisé qu’on ne peut s’empêcher d’imaginer que l’ordre en est la règle, que notre monde est soumis à des principes qui l’orientent préférentiellement vers une structuration dans le temps et l’espace.
Alors quel serait donc ce principe structurant qui inlassablement ferait apparaître structure et ordre dans tout milieu homogène ?
Qui (ou plutôt quoi !) serait responsable de l’apparition systématique de grumeaux dans toute bouillie ?
Qu’est-ce qui pousserait des éléments semblables à se différencier et faire émerger une structure, une séquence, un ordre, et parfois même une organisation ?
… éléments de réponse dans l’article qui suit !